Sur les murs-mûrs d’un quartier populaire
Murs-Mûrs est un projet de labo théâtral lancé par la compagnie La Transversale sur le quartier Saint-Jacques de Clermont-Ferrand en 2019. Il a réuni habitants du quartier et acteur·rice·s autour de l’écriture et de l’interprétation d’un spectacle en espace public mettant en scène les mémoires, le présent et le devenir de ce quartier populaire. Cet album en est la bande son.
Je pourrais dérouler en introduction l’histoire urbaine du quartier Saint-Jacques de Clermont-Ferrand. L’Agence des Musiques des Territoires d’Auvergne l’a très bien fait d’ailleurs dans un atlas sonore consacré au quartier. J’évoquerais la mutation de cet espace encore rural dans les années 1920 avec l’installation de maisons ouvrières accompagnant le développement industriel de la ville tiré par la manufacture Michelin. Je parlerais aussi de la société Cruzilles qui installe sur ce plateau dominant la ville une usine de fabrication de pâtes de fruits.
J’énoncerais surtout le tournant de l’après-guerre et les différents projets qui vont remodeler le visage architectural et sociologique du quartier : la construction du centre hospitalier universitaire en lieu et place des vergers, la grande opération architecturale lancée en 1961 avec la construction d’un bâtiment de huit étages, 14 escaliers, 354 logements pour une longueur de 320 mètres. Les clermontois ne tarderont pas à le nommer « muraille de Chine ». Enfin, la municipalité lance la construction d’un viaduc mesurant 500 mètres de long et reliant le quartier au centre ville. On y passe en voiture, à pied et en tramway.
© A.S
Ce quartier, je le nommerais quartier d’habitat social, ou quartier populaire. Il en recoupe tous les attributs. Il en suit indubitablement la trajectoire, celle-là même que nombre de sociologues urbains ont maintes et maintes fois décrites. Un âge d’or, celui du vivre ensemble, du travail et d’un espace de vie partagé dans une certaine joie et communion. Puis la crise, le chômage, et l’abandon qui s’installe. La pente décline et ses habitants s’accrochent.
La ville se développe autre part. Pourtant le quartier se rappelle à elle et finalement, il faut agir. Alors, sur le tard, et dans une lointaine résonance d’un cycle de rénovation urbaine lancé par Borloo en 2003, la ville lance un projet sur le quartier annonçant la démolition prochaine de l’emblématique « muraille » devenu symbole architecturale d’une cité dont la culture en la matière est pour le moins incongrue. Il suffit de se balader dans Clermont pour mesurer le grand n’importe quoi de son architecture. Ici, on a voté depuis longtemps pour l’incohérence, laissant promoteurs et marchands de ville faire le boulot.
Oui, je pourrais surtout, par mon passif d’étudiant en urbanisme et professionnel du développement social urbain, démonter les logiques inhérentes de la rénovation urbaine. Je citerais alors Renaud Epstein, Marie-Hélène Bacqué, Saïd Bouamama ou IAM. Demain, c’est loin.
Néanmoins, tous ces mots, toutes ces critiques, toutes ces petites analyses plus ou moins maladroites ne seraient que redites. Parce qu’à Clermont comme partout ailleurs, demain, aujourd’hui comme hier, la même mécanique est à l’œuvre. Et puisque il y a 155 ans paraissait le Capital d’un certain Marx Karl, il suffirait donc de causer dialectique, déterminisme et lutte des classes.
Pourtant, nous serions loin du compte. Nous serions loin de la géographie sensible que dessinent mémoires, trajectoires, mots et gestes des habitants qui sont ce quartier. Et comme l’enseigne très justement le courant des subaltern studies, il se trouve que moi, l’outsider, l’artiste sonore profitant de l’opportunité d’un projet pour venir y travailler, le cultureux soucieux du bien commun mais consentant bon an mal an à la marche de ce « renouvellement urbain » en m’installant de manière éphémère dans ce quartier quand on me le permet, je suis foutrement mal placé pour en causer.
J’ai donc trouvé un autre moyen, tendant mes micros et mes oreilles. Me faisant petit, minuscule, imperceptible. J’ai arpenté, j’ai enregistré. Puis, j’ai rejoint une troupe, né d’un atelier d’écriture. Est né de cette initiative un spectacle, Murs-Mûrs, dont j’ai composé la bande sonore.
J’espère, au final, que cette bande sonore ne parle pas ni du quartier, ni de ses habitants. J’espère que cette bande sonore restitue, avec modestie mais sincérité, quelques élans poétiques et donc politiques de ce que les engins de chantier ne peuvent démolir. Ni demain, ni aujourd’hui, ni hier.
Murs-Mûrs LP (tirée de Konstruktion V par László Moholy Nagy) © A.S
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